Je dois être profondément fatigué pour m’intéresser autant à la vie de cette coccinelle. Remarquez, j’admire la ténacité avec laquelle elle s’agrippe à ma chemise. Je m’apprête à rependre le cours de notre conversation quand l’atmosphère s'alourdis brutalement. Je lève les yeux et balaye les alentours du regard. Mais qu’est-ce que… ?! Je me redresse dans ma chaise, intrigué par ce nouveau phénomène. Lourde et inévitable, le brouillard commence à flouter le paysage. Quelqu’un d’autre ? Dans la même semaine ? Au bout de quelques secondes, je suis entouré d’un épais cocon cotonneux, je n’y vois pas à deux mètres devant moi. J’ai l’impression de revivre ma propre venue au ranch. Enveloppée dans ce brouillard, il y a de quoi paniquer, heureusement je ne suis pas du genre à perdre mon sang froid pour si peu. Par contre, il n’en est pas de même pour tout le monde et il serait préférable de trouver notre recrue fraichement arrivée avant qu’elle ne prenne peur. « Tu as une idée de où aller Fleur ? »…Le silence, plus pesant que cette purée de pois humidifiant mes cheveux , me fait office de réponse. « Fleur ?...Laïla ?...Tilla ? ». La situation est clair non ? Je me suis encore fait abandonner. En soupirant, j’entame la marche. « Ouch ! » Dommage, je viens de me prendre le coin de la table dans la jambe. Massant énergiquement ma cuisse endolorie, je tâte les alentours pour ne pas atteindre une nouvelle fois mon intégrité physique. J’entends vaguement la voix de Fleur hurler mon nom « J’ARRIVE FLEUR ! »….Enfin, j’arrive, tout va dépendre de mon instinct et mon sens de l’orientation. Autant vous le dire, cette marche à l’aveuglette risque d’être un tantinet dangereux.

Finalement, je traverse la terrasse sans trop d’encombre…mise à part une chaise qui s’est invitée sur ma route. J’entre enfin dans le ranch où tout redevient clair. N’entendant plus un seul bruit, je m’inquiète légèrement quant à la situation. Je me précipite dans le salon où j’aperçois Fleur et Tilla « Ha les filles ! Je vous trouve enfin et…oh… » Ma voix s’éteint quand mes yeux se posent sur cette toute jeune demoiselle dont les yeux sont gonflés par des larmes mêlées de peur et de tristesse. « Tout va bien ? » Je questionne doucement en m’agenouillant devant la petite nouvelle. Elle a moins de vingt ans, c’est sûr…

Visiblement, je m’en suis fait pour rien. En fait, c’est moi qui vais commencer à me ronger les ongles. Je n’y connais pas grand-chose en jeunes filles mais à cet âge là, on devrait être en train d’astiquer les bancs du collège et mener la vie dure à papa et maman. Je sais qu’elle ne va pas pouvoir regagner sa maison de sitôt, comme nous tous ici, mais je reste dubitatif quant à sa présence. Pas que cela me gêne mais n’a-t-elle pas besoin d’une autorité parentale ? D’une épaule pour pleurer ? Ou encore d’une personne qui l’aime inconditionnellement ? J’ignore encore si j’aurais fait un bon père mais, c’est cet instinct paternel inassouvis qui me fait me demander ce qui est le mieux pour une adolescente. Pour avoir perdu l’amour de mes parents, je les connais ces sentiments d’abandons et autres coups de blues. Ce n’est pas la même histoire pour elle mais cela risquera sûrement d’être dur pour elle. Ou peut-être pas d’ailleurs…Je me fais une opinion sans même la connaître. On verra bien dans les prochains jours. Je lui souris « Oui, je suis Charly…je ne peux que te souhaiter la bienvenue au ranch… » Mon sourire vacille un peu mais je reste jovial, avant de me relever, je lui glisse quelques mots « Si tu as besoin de quoi que ce soit, réellement n’importe quoi, anything, n’hésite pas à nous demander. ». En me redressant je jette un coup d’œil rassuré à Fleur et Tilla. Visiblement, Robine à l’air d’être quelqu’un de tenace.

L’épaule appuyée à l’encadrure de la porte, je n’ajoute rien et reste silencieux. Je ne suis pas en position pour prendre une décision quant à la participation de Robine dans cette fameuse quête au cœur de la forêt. A vrai dire, je peux comprendre l’inquiétude qui taraude Fleur. Après tout, cette forêt nous est à tous inconnue. Cependant, la présence de notre excellente chasseur est des plus rassurante. Au moins, cela amenuise les chances de nous égarer entre les arbres majestueux du bois. Les seules personnes qui pourraient se permettre de donner un avis pour le cas de cette jeune demoiselle sont Fleur et Laïla, nos charmantes hôtes. Quoi qu’il en soit, le choix le plus juste, me concernant, serait de la laisser décider elle-même de ce qu’elle veut faire ou non. A quinze ans, on a largement le droit de tracer sa route. Je sens en elle une force et une détermination. Pourtant, en contraste avec tout cela, elle reste fragile. Je ne la mets pas en doute mais la jeunesse est une source terrible de fragilité et de doutes. Voyant que la discussion tourne en faveur d’un sujet plus léger, je me fends d’un sourire en finissant mon sandwich – notez tout de même que j’ai à peine touché à mon diner ! – et ouvre la marche. « Alors, on va la voir cette chambre ! » Je lance en leur faisant un clin d’œil.