Je n’ai pas mis de protections aux jambes de Caramelo puisque je n’ai absolument pas l’intention de faire de saut avec lui aujourd’hui. Je dois d’abord me rendre compte de son caractère en carrière avant d’essayer de faire quoi que ce soit d’autre. Nous rentrons dans l’air de travail, je prends soin de fermer la barrière…on ne sait jamais. Je n’aurais peut-être pas été si prudent avec Pim’s ou même Oklahoma mais quelque chose me dit que la prudence est de mise avec un cheval aussi bouillonnant que celui-ci. Je suis pourtant certain qu’il a des qualités en saut et peut-être même en dressage. Mais cette dernière n’est pas ma discipline de prédilection, on peut même dire que je suis assez médiocre. Bref. Je m’arrête au centre de la carrière et prends le temps de lui étirer les jambes. Pour l’instant, il ne fait pas de manières mais j’imagine qu’il a d’autres tours dans son sac à me réserver. Le prenant par surprise, j’arrive à ressangler de cinq trous. Allez, quand faut y aller…

Je mets le pied à l’étrier et donne l’impulsion pour monter. Je ne suis pas assis dans la selle qu’il avance déjà. Je prends place en vitesse et, avec des rennes ajustées, lui demande immédiatement l’arrêt. Bizarrement, il me répond correctement, s’immobilisant le temps que je règle mes étriers. C’est après que les ennuis sont arrivés.

Il n’y a pas à dire, ce monsieur a du répondant. A peine ai-je pressé ses flancs qu’il part d’un bon pas plein de grâce et de minutie. Ses allures sont différentes de celle des autres, plus déterminée et peu chaloupé. Il n’est pas inconfortable même si j’ai une énorme préférence pour les chevaux forts dits à sang-froid. Le premier tour de carrière se passe sans problème mais vous savez ce qu’on raconte à propos du naturel ? Brusquement Caramello s’arrête, droit sur ses jambes. Je soupire et presse légèrement ses flancs. Avec les chevaux de cette espèce, il ne faut surtout pas être trop brutal, ils sont bien plus sensibles qu’ils n’y paraissent. Il tente de faire demi-tour. Je bloque la renne intérieur et exerce une pression sur la renne extérieur pour qu’il arrête son cinéma. Après avoir lutté et avoir exécuté quelques tours sur lui-même, le hongre se rend à l’évidence ; ça ne prend pas sur moi. Machinalement, il reprend le pas. Un tour. Deux tours. Il a compris que son manège ne servait à rien. Mais j’imagine qu’il va encore m’en faire voir…Je le mets au trot et exécute quelques figures malgré les fortes pressions que le cheval alezan brûlé exerce sur son mord pour partir dans une autre direction. J’ai loupé quatre fois d’affilés la volte que je veux faire, au trot assis, mais nous ne passerons pas à autre chose tant que je ne l’aurai pas bouclé. Au moins, il n’est plus tenté de repasser au pas. Ma cravache, posée sur son épaule, est un avertissement constant.

Enfin ! Après un septième essai, il fait une volte parfaite. « Tu vois, quand tu veux… » Je lui flatte l’encolure et l’encourage à continuer ainsi. Sur le côté montant, je demande le galop. En équilibre sur les étriers, je prends le temps d’apprécier la cadence et la légèreté de son allure. Un détail me chiffonne pourtant ; il ne galope pas sur le bon pied. Je m’assois dans la selle, recule les épaules pour demander le trot. Au moment où j’estime pouvoir lui redemander d’accélérer, il pile net. J’ai beau presser mes mollets contre lui et ordonner de ma voix la plus ferme qu’il avance, il fait la sourde oreille. Agitant la tête et reculant de quelques pas, je sais qu’il a une idée.

S’en est trop. « C’est toi qui l’a voulu… » ma cravache, qui ne m’avait pas vraiment servi, s’abat dans un bruit sec juste derrière ma jambe. L’effet est immédiat ; Caramelo donne une ruade avant de partir au galop. « Hola… »Légèrement déséquilibré par le départ, j’ajuste mes rennes et essaye de retrouver mon équilibre rapidement, avant qu’il ne sente qu’il a le dessus. Je me redresse correctement et, à l’aide de la renne extérieur, ralenti sa course. Malheureusement, nerveux comme il est, le moindre détail anormal le perturbe. Pas de chance, c’est alors que je souffle enfin un peu et que nous galopons tranquillement qu’un oiseau décide de couper devant nous. L’alezan brûlé fait un violent écart auquel je ne résiste pas. Après un joli vol plané, j’atterris lourdement sur le sol sablonneux de la carrière. Je grimace devant la rudesse du choc mais me relève en vitesse pour remonter en selle. J’ai la cuisse un peu mâché mais pour l’instant, les douleurs sont supportables. Je calme Caramelo et remonte. Après quelques tours au pas pour le calmer, j’estime que nous avons assez travaillé pour aujourd’hui, d’autant que ma jambe commence à me lancer. Je descends et le félicite pour ses efforts malgré les plusieurs fausses notes. Mais même les plus grands font des erreurs…Au fur et à mesure, il sera de plus en plus performant et de moins en moins nerveux. "Allez viens, il est temps de rentrer au boxe..."