Les raisons de ma venue, j’en suis désolé, resteront pour l’instant secrètes. Pas que je sois un agent infiltré de la CIA ou un espion pour le compte de la famille royale britannique mais je n’ai pas assez de courage pour me remémorer certains passages bien trop douloureux. Comme je ne suis pas réellement doué pour parler de moi, je vais essayer d’être le plus clair possible. En fait, je suis nouveau au ranch. Ma venue ne remonte qu’à une quarantaine d’heures. Pourtant, les raisons de mon arrivée restent encore floues. Je me revois encore, au volant d’une Berline noire entâchée par des centaines de kilomètres, retirant lascivement une cigarette de mes lèvres. En observant le volatile nuage gris que je soufflais, j’essayais de faire le point sur ma situation. Ma vie, ayant pourtant connu des débuts heureux et quelques chapitres délicieux, tangua jusqu’à complètement chavirer. Le destin, ce sal**d, glissa plusieurs peaux de banane sous mes semelles pour que j’ai le plus de mal possible à me relever. Mon existence, prenant des airs de série dramatique, me laissa dans une dépression pathétique. Avant que je ne finisse à la Mike Brant, ma soeur aînée, une des rares personnes de la famille avec qui j’entretiens de bonnes relations, m’a conseillé de tourner la page, de prendre du temps. Chose dite, chose faite. De toutes manières, je n’avais pas la force de rester à Londres, trop de souvenirs. Je pourrai y retourner quand j’aurai fini de digérer tout cela. En passant la Manche en ferry, j’ai balancé cette alliance en argent, qu’elle aille se faire oublier celle-ci. En faisant ce geste là, j’ai sérieusement fait un trait sur mon ancienne vie. J’en étais là dans mes pensées quand une purée de pois anormalement épaisse avala littéralement ma voiture. Je n’y voyais plus rien, cela avait quelque chose d’effrayant. Je roulais au pas, agrippé à mon volant comme si ma vie en dépendait, une ride de concentration me rayait le front. Un bruit familier me fait freiner. Un hennissement ? Droit comme un « i » sur mon siège, je respire à peine en tendant l’oreille. A partir de mes dix-huit ans et jusqu’à mes vingt-cinq ans, j’étais cavalier, vice-champion national de cross. Après, je me suis rangé et je montais occasionnellement. Je ne me suis pas rendue compte à quel point cela me manquait, à quel point les sensations uniques de l’équitation m’étaient essentielles. Mettant ce hennissement sur le compte de mon esprit fatigué je remis mon moteur en route et avançai avec toujours autant de prudence. Je cru mourir d’une crise cardiaque quand un immense cheval noir coupa devant moi. Je dû écraser violemment ma pédale de frein pour piler dans un crissement de pneu désagréable. Je ne sais pas quelle folie m’a pris quand je me mis en tête de suivre l’étalon d’ébène à travers cet épais rideau brumeux. Il s’évanouit dans l’air, me laissant perplexe, alors que tous redevenait clair. Mes yeux s’arrondirent comme des billes lorsque je vis ce superbe ranch sortir de l’ombre. Je refermai ma mâchoir et, intrigué par cette hasardeuse et mystique rencontre, sortie de ma voiture pour me planter devant une ardoise de laquelle pendait une craie. Trois mots s’inscrivirent successivement sur la plaque noire, me faisant me retourner pour vérifier qu’il n’y ait personne. Non, j’étais définitivement seul. Ces mots étaient ; « Believe – Forget – Welcome. ». Comme guidé par je ne sais quelle motivation, j’apposais « Charly Heatherfield » à l’aide de la craie blanche. Ce geste, ces quelques secondes, j’en suis sûre, vont finir de changer ma vie. Je levai les yeux ; Une pancarte chaleureuse s’agitait doucement dans le vent ; « Bienvenue au ranch de l’amitié. ». Après un dernier regard à ma voiture, je l’abandonnai là et fit mes premiers pas, peu assurés, dans l’enceinte du domaine.